Publisher's Synopsis
Le livre que nous avons sous les yeux est bien un roman, mais ce n'est pas un roman comme les autres, car l'auteur s'est propose de nous raconter non ce qui aurait pu arriver hier, ou autrefois, mais ce qui pourrait bien arriver dans quelques siecles. Les moeurs qu'il depeint ne sont pas les notres, ni celles de nos ancetres, mais celles de nos descendants. Il imagine bien une petite fable a la Jules Verne, et feint de supposer que la Race future existe des maintenant sous terre et n'attend, pour paraitre a la lumiere du soleil et pour nous exterminer, que l'heure ou elle trouvera son habitation actuelle trop etroite. Mais cet artifice de narration ne trompe personne, et il est evident que Bulwer Lytton a voulu nous donner une idee de la facon de vivre et de penser de nos arriere-neveux. C'est la une ambition legitime, quoique l'entreprise soit singulierement hardie. Il est permis de chercher a deviner ce que l'avenir reserve a notre espece. On connait le chemin qu'elle a parcouru; on peut dire ou elle va. Sans doute on risque fort de se tromper, mais un romancier ne repond pas de l'exactitude de ses tableaux et de ses recits; on ne lui demande qu'un peu de vraisemblance. Quelquefois meme on est moins exigeant et l'on se contente d'etre amuse. Les Voyages de Gulliver manquent absolument de vraisemblance, ce qui ne les empeche pas d'etre un chef-d'oeuvre souvent imite, jamais egale. Il est vrai que les fictions de Swift ne sont que des verites deguisees et grossies, et qu'il a ecrit sous une forme divertissante la plus amere satire qu'on ait jamais faite d'un peuple, d'un siecle, et meme du genre humain. L'auteur de la Race future a du penser a son illustre devancier, car son heros est, chez les hommes du vingt-cinquieme ou du trentieme siecle, ce que Gulliver lui-meme est chez les chevaux du pays des Houyhnms, le representant d'une civilisation inferieure, un barbare ignorant et corrompu en excursion chez les sages. Il y a seulement cette difference que les chevaux de Swift ne sont que vertueux et heureux, tandis que les Vril-ya de Bulwer sont, en outre, fort savants. La vertu et le bonheur ne nous donneraient plus l'idee d'une superiorite complete si l'on n'y joignait une grande puissance industrielle fondee sur une connaissance approfondie des secrets de la nature. Le monde a marche, depuis le temps de la reine Anne, et on ne se moque plus des emules de Newton; c'est au contraire sur eux que l'on compte pour changer la face des choses. Mais il est bien malaise d'imaginer des hommes infiniment plus savants que nous: les grandes decouvertes ne se devinent qu'a moitie. Il est, au contraire, facile d'imaginer des hommes meilleurs que nous; les modeles abondent sous nos yeux, et le peintre de l'ideal trouve dans la realite tous les elements du tableau qu'il veut tracer. Quand Bulwer suppose que nos descendants seront maitres d'un agent infiniment plus subtil et plus fort que l'electricite, et qu'ils auront perfectionne l'art de construire des automates jusqu'a peupler leurs habitations de domestiques en metal, on est tente de le trouver bien temeraire. Mais quand il nous montre une societe ou la guerre est inconnue, ou personne n'est pauvre, ni avide de richesses, ni ambitieux, ou l'on ne sait ce que c'est qu'un malfaiteur, nous demeurons tous d'accord que c'est la une societe parfaite. Malheureusement l'auteur ne prouve pas que les merveilleux progres scientifiques qu'il est permis d'esperer doivent avoir pour consequence un progres non moins admirable de la moralite humaine, ni que les hommes soient assures de devenir plus raisonnables que nous quand ils seront devenus bien plus savants.