Publisher's Synopsis
A GEORGE IRETON. Vous pensez peut-être, mon cher Ireton, que je vous écris de Paris; eh bien! non; je vous écris de la forêt des Ardennes où je viens de finir mon Histoire de Jane Grey, en quelques mois de villégiature studieuse chez une amie qui, par l'élégance des habitudes, la noblesse du coeur et la distinction de l'esprit, est partout un centre littéraire. N'allez pas vous imaginer toutefois qu'il n'y ait où nous sommes que des publicistes, des métaphysiciens et des artistes. Il y a aussi autour de notre monastère de famille et de philosophie des chasseurs que n'aurait pas désavoués Robin-Hood. J'en connais un qui a tué de sa main cent trente-deux sangliers parmi lesquels il a choisi les plus sauvages têtes pour en décorer son manoir. Sous les voûtes consacrées à saint Hubert, on voit ces têtes noires ou fauves, avec leurs blanches défenses d'ivoire; et, dans les chenils treillissés, on entend aboyer les meutes terribles. Cela me reporte naturellement aux chasses des lords du seizième siècle et singulièrement des marquis de Dorset, les proches de Jane Grey et vos voisins du comté de Leicester; cela ne me reporte pas moins à vous, mon cher Ireton. Dans votre agreste maison de la forêt de Charnwood, vous avez été mon hôte affectueux et le premier confident de ce livre: voilà pourquoi il me plaît de vous le dédier de la forêt des Ardennes. Que cet hommage vous rappelle la prairie de Bradgate où nous avons erré ensemble les pieds dans les marguerites et dans les ruines, tandis que le soleil d'Angleterre teintait d'une lueur pâle ce paysage de Jane Grey. Hic locus, hæc patria est, me disiez-vous avec Virgile: C'était là sa demeure, c'est là sa patrie. Je le sentais bien, et Bradgate me toucha beaucoup, Bradgate dont l'herbe recouvre des médailles, et où la végétation des décombres est l'emblème de l'espérance qui ne trompe point. Nous eûmes là, près des ormes de Charnwood, à propos de Jane Grey, un de ces sévères entretiens métaphysiques, trop rares aujourd'hui, et qui pourtant sont le fond de la vie humaine. Vous regardiez le gazon plein de fleurs, moi, je regardais le ciel plein d'astres et je concluais qu'il n'y a de Dieu que le Dieu personnel, le seul qui soit intelligence, liberté, providence; le seul qui habite hors de nous et au dedans de nous; le seul que l'on puisse prier; le seul avec lequel on n'est pas quitte en disant: le divin, si l'on n'achève et si l'on n'ajoute: le Dieu vivant! Car d'où le divin s'épancherait-il, si ce n'est du Dieu vivant et d'où les sources idéales s'échapperaient-elles, si ce n'est encore du Dieu vivant en nous? Ce Dieu vivant n'anéantit rien de ce qu'il a enfanté une fois, ni un grain de sable, ni une personne. Le grain de sable se brise et persiste comme poussière; la personne se sépare et persiste comme âme. Étant par soi, Dieu nous continue parce qu'il nous a commencés et nous, qui sommes par lui, il nous réserve aux ascensions et aux intimités de lui-même. Quand donc nous lui demandons de vivre au delà du sépulcre, comment ne nous aurait-il pas exaucés d'avance, puisque l'une de ses lois est de conserver, puisqu'il a en autorité et en bonté plus que nous n'avons en aspiration? Ainsi des évidences merveilleuses nous traversèrent à Bradgate, mon cher Ireton. Dans l'allégresse dont nous enivrait la logique de la création et à travers les prophéties que cette logique nous déroulait, nous affirmâmes sans hésitation le souverain Être et nos destinées futures, sauf à nous démêler ensuite des difficultés, toutes infimes, du raisonnement. Platon, Leibniz et Newton conversaient avec nous entre les anciennes métairies de Jane Grey et ses arbres toujours verts, tandis que la vieille et bruyante féodalité de Charnwood et de Bradgate, désorientée par la civilisation, se taisait dans les solitudes de ramée. C'est sans doute le génie du lieu,