Publisher's Synopsis
Louise Charlotte Ernestine Gautier, dite Judith Gautier, par son mariage Madame Catulle Mendès, est une femme de lettres française, née à Paris le 25 août 1845 et morte à Saint-Énogat (aujourd'hui Dinard) le 26 décembre 1917.Judith Gautier s'est illustrée dans les lettres par sa passion pour l'Asie (Chine et Japon notamment), par son rôle de pionnière dans l'analyse de la mystique wagnérienne, et par ses relations passionnées avec l'avant-garde littéraire française, de Victor Hugo à Charles Baudelaire en passant par Gustave Flaubert. Elle est également la première femme à entrer à l'Académie Goncourt, en 1910.Extrait: - Si mes amis de Tokio, me voyaient ainsi, le nez vers la terre, accroupi très humblement devant le daïmio et sa noble épouse, ils me trouveraient bien peu moderne, pas du tout dans le train, comme l'on dit à Paris, à ce qu'il paraît, et ils se moqueraient de moi. J'ai tout à fait l'air d'un samouraï du temps féodal, prosterné devant son seigneur... Il est vrai que notre féodalité, à nous, régnait encore il y a vingt-cinq ans à peine et que, moralement, je suis toujours vassal de mon prince dans cette cour très arriérée. Kama-Koura n'est pas Tokio, hélas ! C'est par la cervelle joyeuse du jeune étudiant Yamato, que passaient ces réflexions, tandis qu'accroupi, les mains sur les cuisses, la tète courbée sur sa poitrine, il écoutait, d'un air profondément respectueux, la communication que lui faisait, d'une voix lente et solennelle, le vieux daïmio de Kama-Koura. Le prince était assis par terre, sur une natte blanche, devant un beau paravent à fond d'or fleuri de pivoines, et à côté de lui, debout, la princesse, sa femme, s'éventait avec agitation. - Ce matin mème, disait le daïmio, la mère de mon fils, s'est présentée devant moi, et m'a parlé de la sorte: Monseigneur, avez-vous remarqué combien notre cher San-Daï est pâle, comme ses yeux se creusent, comme il se traîne d'un air las, en marchant, et quel pli trop grave crispe sa jolie bouche, faite pour le rire ? Alors j'ai répondu Oui, princesse, j'ai remarqué tout cela depuis longtemps, et j'ai jugé que notre unique enfant s'adonne trop exclusivement à l'étude, que l'heure est venue pour lui d'ètre un peu fou et dissipé, comme le sont les jeunes hommes de son âge. Je le lui ai fait entendre plusieurs fois, l'autorisant à s'amuser à sa fantaisie; mais il m'a répondu La vie est courte, la science infinie; pourquoi gaspiller un temps si bref en de frivoles plaisirs ? J'ai insisté, autant que cela était possible sans compromettre ma dignité paternelle; San-Daï n'a pas voulu comprendre, et plus que jamais il s'acharne au travail. Nous avons pensé alors, ma noble épouse et moi-mème, que vous, son camarade d'étude, vous, qui ètes aussi gai qu'il est grave et qui parvenez quelquefois à le faire rire, vous trouverez peut-ètre le moyen de l'arracher à cet état, que le médecin déclare dangereux, et à le distraire, presque malgré lui. Voyons, qu'imaginerez-vous pour forcer mon fils à s'amuser ?